17/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La main-d'œuvre étrangère

01/01/1995
Prêts pour les travaux ingrats. Les ouvriers étrangers sont très demandés car ils ne rechignent pas à travailler dans les chantiers sales, à hauts risques et exigeant de gros efforts physiques. Ici, des Thaïlandais dans un chantier souterrain pour le percement du métro de Taipei.

Pour combattre la pénurie de main­-d'œuvre, le gouvernement a autorisé en 1989 plusieurs secteurs industriels à embaucher des travailleurs étrangers. Aujourd'hui, employeurs chinois et employés étrangers collaborent mal­gré la corruption des réseaux de recrutement, les différences culturelles et la barrière des langues.

En été 1994, Mme Jessica Maranan, âgée de 24 ans, a obtenu sa licence d'ingénieur électricien à l'institut de Technologie des Philippines à Manille. Mais après avoir passé ses examens de licence, elle comprit qu'il lui faudrait attendre longtemps avant de trouver un emploi dans son domaine si même elle en trouvait un , étant donnée l'étroitesse du marché de l'emploi aux Philippines. Seul soutien de sa famille, elle ne pouvait se permettre d'attendre. Et avant même de connaître le résultat de ses examens, elle se rendit dans une agence de recrutement à Manille pour faire une demande d'emploi comme travailleur non qualifié à Taiwan.

Ayant réussi un test élémentaire d'intelligence et un examen d'aptitude à un emploi à l'étranger, Mme Maranan paya à l'agence de recrutement des droits qu'elle savait supérieurs à plus de deux mois de son futur salaire à l'étranger. Elle obtint ainsi un poste sur une chaîne de montage de First Inter­national Computer Company dans le hsien de Taipei.

Elle débarqua à l'aéroport interna­tional CKS (Tchang Kaï-chek) de Taoyuan, près de Taipei, par un jour de janvier froid et humide. Venant des tropiques, elle n'avait emmené qu'une veste légère pour braver les hivers frisquets de Taiwan. « J'ai d'abord cru que c'était simplement l'air conditionné de l'aéroport, se rappelle-t-elle. Mais quand j'ai mis le pied dehors, j'ai compris qu'il faisait vraiment froid. » Ce climat rendit Mme Maranan nostalgique des hivers chauds de son pays. « Pendant les trois premières semaines, je me demandais constamment si j'avais eu raison », dit-elle. Mais elle survécut au froid, s'habitua à son nouvel environnement et se lia d'amitié avec des autres collègues venues aussi des Philippines. « Il y avait ici beaucoup de Philippins », dit-elle.

Chen Mei-ling. M. Chao Shou-po, président de la commission d'Etat du Travail : « Nous avons besoin de main­-d'œuvre étrangère, mais en tant que force d'appoint. Elle ne doit en aucun cas compromettre les chances des travailleurs chinois. »

Mme Maranan travaille de minuit à 8h du matin les jours de semaine, plus 4 heures par roulement la nuit du samedi. Son travail est de contrôler le câblage des cartes-mères des ordinateurs individuels (OI) et des ordinateurs portables (OP) de cette entreprise et de recâbler ce qui est défectueux. Ce n'est pas un poste idéal pour un ingénieur licencié, mais elle ne se plaint pas. « Bien sûr, ce serait mieux si je trouvais un travail dans mes cordes, dit-elle. J'ai encore des chances aux Philippines, mais je ne pouvais pas attendre suffisamment longtemps pour trouver un emploi. J'estime avoir de la chance d'avoir eu cet emploi. C'est tout de même un peu dans mon domaine. »

Après tout, l'argent est la principale raison de travailler à Taiwan. Alors qu'une place d'ingénieur aux Philip­pines lui rapporterait 200 dollars américains par mois, le salaire minimum à Taiwan est de 495 dollars américains par mois, non compris les heures supplémentaires. Et Mme Maranan a eu de la chance. Alors que de nombreux travailleurs étrangers passent six à neuf mois, et parfois jusqu'à un an, pour payer les frais de l'agence de recrutement, elle a pu rembourser son emprunt dès la fin de ses trois mois d'essai. Maintenant, elle envoie régulièrement une somme importante à sa famille. Savoir cela l'aide pendant le trajet solitaire et déprimant entre l'usine et le quartier-dortoir de la société : « J'ai toujours un calendrier dans la poche parce que je compte tout le temps les jours, dit­-elle. Il s'agit de gagner de l'argent pour combattre la nostalgie. »

L'argent est aussi ce qui a motivé M. Joghtai Chou, âgé de 29 ans, à fermer sa boutique de produits séchés qu'il possédait à Bangkok et à se rendre à Taiwan en juin 1993. « Les affaires ne marchaient pas, alors j'ai décidé de venir dans un nouveau milieu et de tenter ma chance », dit-il. Après avoir emprunté ici et là 2 000 dollars américains, il s'en alla voir un agent recruteur à Bangkok. Après plusieurs mois d'attente, M. Chou obtint un emploi comme ouvrier en bâtiment et interprète (il parle aussi le chinois étant par son père d'origine chinoise) chez Chiu Tai General Contractors. Cette société emploie 130 ouvriers thaïlandais et aucun d'eux ne sait parler le chinois ou l'anglais. M. Chou et trois autres interprètes sont les seuls liens de communication entre les ouvriers et la direction de l'entreprise.

Il faut investir pour gagner. Les travailleurs étrangers sont souvent obligés de payer une commission aux intermédiaires ─ parfois jusqu'à 3 000 dollars américains ─ afin d'obtenir un emploi à Taiwan. Beaucoup mettent de six à douze mois pour rembourser leurs dettes.

Chiu Tai participa à la construction du métro de Taipei. M. Chou et ses collègues passent la plupart de leur journée de travail sous terre, creusant des tunnels sous les carrefours encombrés de Taipei. Le travail est ingrat et physiquement exténuant, et les chantiers souterrains sont chauds et humides en été, froids et détrempés en hiver. Mais avec un salaire mensuel de 800 à 900 dollars américains, M. Chou gagne trois ou quatre fois plus qu'un bureaucrate en Thaïlande. Il fait des économies afin de pouvoir monter son entreprise quand il rentrera au pays.

Des histoires comme celles de Jessica ou de Joghtai sont devenues communes à Taiwan depuis octobre 1989, quand le gouvernement autorisa plusieurs industries de main-d'œuvre à embaucher du personnel étranger. De nouveaux canaux ont créé un climat profitable à tous, employeurs et employés. Les entreprises chinoises de Taiwan ont un besoin absolu d'ouvriers, et même des personnes ayant reçu une bonne instruction dans les pays du Sud­-Est asiatique acceptent de faire un tra­vail manuel à Taiwan moyennant un bon salaire.

Encore maintenant, la commission d'Etat du Travail, sous la tutelle du Yuan exécutif, avance avec précaution et a institué des règles strictes. « Nous avons besoin de main-d'œuvre étrangère, mais en tant que force d'appoint, dit M. Chao Shou­-po, président de la commission d'Etat. Elle ne doit en aucun cas mettre en danger les chances des travailleurs chinois. » La commission d'Etat continuera d'autoriser la main-d'œuvre étrangère à entrer à la seule condition qu'elle ne crée pas de problèmes sociaux et qu'elle n'entrave pas la modernisation des in­dustries insulaires.

Depuis quatre années et demie qu'a pris effet la légalisation de l'embauche de travailleurs étrangers, environ 39 000 entreprises et particuliers ont de­mandé d'employer plus de 414 000 tra­vailleurs étrangers, mais la commission n'en a autorisé l'entrée que de 190 000. A l'heure actuelle, on compte 140 000 travailleurs étrangers à Taiwan, et ce nombre ne devrait pas augmenter dans un avenir prévisible. En décembre 1993, le gouvernement a gelé le nombre des femmes de ménage étrangères en vue de réviser sa politique du travail. En avril 1994, cette décision s'est étendue aux ouvriers dans le bâtiment et les usines. De nouveaux travailleurs étrangers ne seront autorisés à entrer que pour remplacer ceux qui s'en vont. Une seule exception : ils pourront augmenter sur les grands chantiers publics.

En 1992, le gouvernement a autorisé l'embauche à Taiwan de femmes de ménage étrangères, comme Mme Teresa Ablasa, mais il a gelé les effectifs de cette main-d'œuvre étrangère en 1994. La demande est si importante que quelques familles tentent d'embaucher des bonnes d'enfants clandestinement.

La commission d'Etat du Travail a alloué aux entreprises un quota de travailleurs étrangers qu'elles ne peuvent pas accroître. Celles dont la demande en travailleurs étrangers n'a pas encore été satisfaite devront attendre la levée du gel. Mais ces restrictions ont créé des problèmes. Des familles qui ont un besoin urgent de femme de ménage ou de bonne d'enfants ont tenté de détourner des travailleurs étrangers de leur travail légal par un salaire mensuel moyen de 1 000 dollars américains, le double du salaire légal. Certaines sont allées jusqu'à afficher des offres d'emploi illégal sur les lieux où les femmes de ménage étrangères se rassemblent quand elles ne travaillent pas. « Il y a des gens riches qui n'ont pas reçu l'autorisation d'embaucher du person­nel étranger et qui ne trouvent pas de personnel chinois, dit Mme Shirley Lai, directrice de l'agence de Taiwan de de Boston et employeur d'une femme de ménage philippine. Aussi ils paient plus pour avoir du personnel illégal. » Bien entendu, les travailleurs ainsi pris sont expulsés.

Les seules catégories d'emplois autorisées aux étrangers sont la con­struction, la fabrication utilisant de la main-d'œuvre, le ménage et la garde d'enfants ou de personnes âgées. Parmi la population actuelle de travailleurs étrangers autorisés, près de 125 000 personnes (ou 66%) travaillent dans les chantiers de construction privés ou des usines privées, et 24% dans les chantiers de construction publics. Les autres, pour la plupart, sont employés dans des ménages. Ainsi, les travailleurs étrangers de quatre pays sont seuls autorisés. Environ 67% viennent de Thaïlande, 23% des Philippines et le reste de Malaisie et d'Indonésie. (Environ 90 000 autres expatriés vivent légalement à Taiwan comme touristes, étudiants, employés de bureau ou conjoints de résidents légaux.)

Les travailleurs étrangers peuvent travailler à Taiwan pour un maximum de deux ans sans pouvoir revenir travailler au terme de leur contrat. « Taiwan est trop petite et trop peuplée, dit M. Chao Shou-po. Nous ne voulons pas que ces travailleurs étrangers deviennent des immigrants. » De plus, ils n'ont pas le droit de changer de travail, de faire venir leur famille à Taiwan ni de se marier avec un ressortissant ou résident de de Chine. En cas de violation de ces dispositions, l'employé peut être licencié et expulsé.

Malgré des critiques grandissantes de la part des employeurs et des employés, la commission d'Etat du Tra­vail a maintenu son approche lente et prudente. « On se plaint que le gouver­nement ait posé beaucoup trop de condi­tions, dit M. Chao Shou-po. Mais comme la présence de travailleurs étrangers est encore toute nouvelle, il faut encore attendre que le logiciel et le matériel soient bien en place avant d'aller plus loin. »

Ici, on parle tagalog. Pour les travailleurs philippins, les églises catholiques sont devenues des lieux de réunion. « Nous n'allons pas seulement à l'église pour écouter la messe, dit l'un d'eux. Nous nous réunissons après la messe pour échanger des informa­tions sur le travail, le salaire et bien d'autres choses. »

On a autorisé certaines branches de l'industrie à embaucher des travailleurs étrangers après une aggravation de la pénurie de main-d'œuvre au cours des années 80. A cette époque de l'essor économique de Taiwan, de moins en moins de personnes acceptaient des conditions de travail difficiles, mal rétribuées et exigeant des efforts phy­siques. Ce phénomène prit l'allure d'une crise vers la fin des années 80, quand de nombreuses usines et sociétés de construction durent réduire leur rythme de production. Certaines fermèrent leurs portes ou se délocalisèrent vers l'étranger.

« Nous ne trouvions plus d'ouvriers, dit M. Chang Rong-tien, directeur de la planification de Chiu Tai General Contractors. Nous avions placé beaucoup d'annonces, mais personne n'y a répondu. » Alors, quand cela est devenu légal, Chiu Tai et d'autres agences de recrutement se sont mises à recruter du personnel à l'étranger.

Avant que le gouvernement n'ouvrît la porte aux travailleurs étrangers, beaucoup avaient déjà exercé un emploi illégal dans l'île. La plupart étaient entrés avec un simple visa de touriste et avaient trouvé du travail. Après la mise en vigueur des nouvelles réglementations, le gouvernement répri­ma le mouvement. Plus de 70 000 tra­vailleurs clandestins ont été expulsés ces dernières cinq années.

Selon les statistiques, l'apport de nouveaux travailleurs a été d'un grand secours. De 1989 à 1993, la pénurie de main-d'œuvre est en moyenne tombée de 6,8% à 1,1 % dans le secteur de la construction et de 5,2% à 2,8% en général. Dans le même temps, plusieurs grands projets d'infrastructure, lancés par le gouvernement, ont rattrapé leur retard sur les délais prévus. Par exemple, du Nord, légèrement en retard sur les prévisions en août 1989, avait même récupéré une certaine avance en janvier 1994. M. Chang Rong-tien, de Chiu Tai, explique que des heures supplémentaires sont régulièrement deman­dées pour maintenir les délais prévus, et il est fréquent que seuls les travailleurs étrangers acceptent de les faire. « Ils ne sont pas nécessairement qualifiés quand ils arrivent pour la première fois, dit-il, mais ils sont une source de main-d'œuvre sûre et toujours prête à effectuer des heures supplémentaires. » M. Joghtai Chou confirme : « Notre seul but ici est de gagner de l'argent. Nous aimons tous faire des heures supplémentaires » A la fois la barrière linguistique et le désir d'épargner de l'argent retiennent les ouvriers à leur dortoir après le travail. Beaucoup préfèrent gagner un peu plus d'argent plutôt que de rester inactifs dans leur logement.

Comment va la famille? La plupart des travailleurs étrangers luttent contre la nostalgie. Pour résoudre de plus graves problèmes, la République de Chine travaille à la réforme des lois et des règlements avec le concours des gouvernements étrangers.

La direction de First International Computer se trouve aussi fort bien de son personnel étranger. La société emploie 139 Philippins, soit un sixième du personnel de sa chaîne de montage. M. Paul Hsu, directeur adjoint du service administratif, dit que les nouveaux arrivants ont besoin d'une semaine à dix jours pour apprendre les tâches élémentaires et de deux à quatre semaines pour maîtriser les opérations plus compliquées de réparation et de contrôle. Après formation, les ouvriers étrangers deviennent rapidement productifs. «D'après mon expérience, nous n'avons pas de problème de qualification avec notre personnel étranger, dit-il. Il est aussi capable que le personnel chinois, tant pour l'apprentissage que pour ses compétences. »

L'aide aux familles est un autre domaine où la demande pour les travailleurs étrangers est forte. « Les femmes de ménage chinoises sont difficiles à trouver, et souvent elles ne restent pas longtemps », dit Mme Shirley Lai. Elle était assez mécontente de plusieurs femmes de ménage chinoises et s'est adressée à une agence spécialisée dans le person­nel étranger. Mais, jamais, depuis que Mme Teresa Ablasa est arrivée des Phi­lippines pour se mettre à travailler chez Mme Lai, celle-ci n'a été autant satisfaite.

Le choc culturel de Mme Ablasa a été minimisé, car elle avait déjà travaillé à l'étranger, comme femme de ménage au Moyen-Orient, jusqu'à ce que du Golfe n'écourte son emploi. A Taiwan, elle s'occupe de la lessive et du ménage de la famille Lai et occasionnellement garde les deux fillettes. « Elle fait tout ce qu'on lui demande, dit Mme Lai. Le mot non ne fait pas partie de son vocabulaire, ce qui est tout à fait différent des femmes de ménage chinoises. » En fait, Mme Ablasa s'est si bien accommodée que Mme Lai dit qu'elle ne ressemble plus à une employée : « Teresa fait partie de la famille ».

Mme Linda Arcangel, ouvrière philippine, souhaite que la commission d'Etat du Travail prolonge la période de travail, qui est aujourd'hui de deux ans. « Le gouvernement de la République de Chine devrait nous donner la possibilité de revenir si nous avons de bons états de service. »

Ce ne sont pas tous les employeurs qui ont une expérience aussi positive. Avec la barrière de la langue, les différences culturelles et d'autres difficultés, des entreprises ont préféré ne pas renouveler le contrat de leur per­sonnel étranger. Dans les cas les plus graves, les travailleurs étrangers ont été licenciés et expulsés du pays. Environ 2,5% des travailleurs étrangers ont été rapatriés pour des raisons de santé, comme d'être porteur de maladies sexuellement transmissibles. Quelques­-uns ont quitté leur emploi originel pour travailler clandestinement avec un salaire supérieur. L'été dernier, un excès de telles défections a obligé beaucoup d'employeurs à publier des annonces dans les journaux pour retrouver les « fuyards », tout en offrant une récompense. D'autre part, les registres de la police de 1990 à la mi-1993 font état de plus de 1 500 délits et vols com­mis par des travailleurs étrangers. Un aspect surprenant de l'emploi de la main-d'œuvre étrangère est qu'elle coûte souvent plus chère que la main-d'œuvre chinoise. Bien que sa rémunération soit nettement inférieure à celle des travailleurs chinois, les employeurs doivent payer un certain nombre de charges supplémentaires. D'abord, tout employeur doit verser des « droits à la stabilité de l'emploi » de 50 dollars américains par mois et par ouvrier ou 80 dollars américains par mois et par femme de ménage à un fonds de l'Etat pour financer un centre de formation professionnelle des travailleurs locaux. En plus, beaucoup de sociétés assurent le gîte et le couvert, emploient des cuisiniers et la plupart doivent payer des traducteurs et interprètes. En comptant toutes ces dépenses, l'employeur paie finalement beaucoup plus que le salaire mensuel minimum de 495 dollars américains (pour une semaine de 44 heures). Par exemple, Chiu Tai dépense plus de 1 148 dollars américains par mois pour chaque travailleur étranger, y compris le salaire. Et tandis qu'un travailleur chinois requiert entre 1 630 et 2 440 dol­lars américains par mois, M. Chang Rong-tien, le directeur de ­cation, rappelle les frais divers, tels que la formation sur le tas et l'inefficacité initiale qu'il faut ajouter. Beaucoup d'ouvriers étrangers viennent à Taiwan avec seulement une instruction primaire, ce qui ralentit et allonge les périodes de formation. « Embaucher un travailleur étranger n'est vraiment pas moins cher », dit-il.

Ouvrier dans la construction et interprète, M. Joghtai Chou fait des économies afin de pouvoir monter son entreprise quand il rentrera à Bangkok : « Notre seul but ici est de gagner de l'argent. Nous sommes tous ravis de faire des heures supplémentaires. »

First International Computer a également dépensé plus en embauchant de la main-d'œuvre étrangère. La société paie de 37 à 74 dollars américains plus cher par mois pour chaque travailleur étranger que pour ses employés chinois. Mais elle admet qu'il vaut mieux dépenser plus pour une main-d'œuvre étrangère que de fonctionner avec des effectifs insuffisants.

Du côté de l'employé, beaucoup d'étrangers rencontrent aussi des difficultés. L'an dernier, les journaux locaux ont souvent, relaté des anec­dotes sur des travailleurs étrangers surexploités, mal rétribués, maltraités et harassés sexuellement par leur employeur. Les plaintes de Philippines travaillant dans des familles ont été si vives ce printemps dernier que le gouvernement philippin a émis unilatéralement plusieurs conditions, exigeant que les éventuels employeurs fournissent un état de fortune et que les femmes de ménage philippines bénéficient d'une assurance médicale élémentaire. La commission d'Etat du Travail a rejeté ces demandes, mais a atténué quelque peu les tensions en incitant les Philippins à déposer leurs plaintes à la commission même.

Depuis lors, les deux parties ont élaboré de nouvelles réglementations. Parmi celles-ci, Taiwan accepte de protéger les travailleurs philippins contre la surenchère des agents recruteurs en exigeant que les nouveaux employés présentent les reçus des droits perçus à leur arrivée. Le gouvernement philippin a accepté de fournir une docu­mentation plus détaillée sur le milieu familial et les précédents emplois des travailleurs afin de permettre aux employeurs de récupérer les travailleurs qui auraient abandonné leur emploi légal pour un travail clandestin.

Tous les salariés étrangers béné­ficient de la protection de des Conditions de travail de de Chine qui garantit un salaire minimum, des jours de congé, une assurance maladie élémentaire (sauf pour les femmes de ménage) et le droit de déposer une plainte et celui d'adhérer à un syndicat (bien qu'il y en ait peu dans l'île). A leur arrivée, tous les travailleurs étrangers reçoivent une documentation sur cette loi, disponible en plusieurs langues. Ceux qui ont des litiges peuvent présenter leurs doléances à la commission d'Etat du Travail, aux représentants officiels de l'Etat ou à leur agence de recrutement. De nombreux groupes religieux servent également de conseillers et de représentants non officiels à ces travailleurs étrangers.

Chen Ping-hsun. Détente de l'esprit. En plus de leurs fonctions spirituelles et sociales, les églises sont aussi devenues un refuge pour les Philippins, où ils peuvent se réunir pour exprimer leurs critiques et leurs requêtes.

Le problème le plus important auquel font face lesdits travailleurs est la surenchère des frais de la part des agents recruteurs à Taiwan et dans leur pays d'origine. Le recrutement s'opère de la façon suivante : l'employeur paie 940 à 1 130 dollars américains à un agent de Taiwan pour couvrir les frais de transport, d'administration et d'examen médical. Ces frais sont fixés par la com­mission d'Etat du Travail. Le problème se complique quand l'agent « vend » les offres d'emploi à des prix exorbitants à une agence de recrutement des Phi­lippines ou de Thaïlande. Comme la compétition est âpre entre les agents recruteurs étrangers pour les offres d'emplois à Taiwan, les agents de Taiwan peuvent les vendre au plus offrant. Malheureusement, tous ces frais supplémentaires seront à la charge du futur travailleur.

En conséquence, c'est le travailleur qui paie des notes de 1 850 à plus de 3 000 dollars américains, des sommes fantastiques aux Philippines où le revenu moyen annuel par habitant est de moins de 800 dollars américains. Pour se procurer les fonds nécessaires, les travailleurs doivent vendre leur propriété, emprunter de l'argent à des amis et des parents ou contracter un emprunt. Dans le pire cas de fraude de l'agence de recrutement, les travailleurs se retrouvent enfoncés dans de lourdes dettes, pour finalement ne pas trouver de travail à leur arrivée à Taiwan.

de Chine, en accord avec les gouvernements thaïlandais et philippin, fait la chasse à ces agences de recrutement. Plus de cent agents recruteurs philippins ont été incarcérés au cours de ces cinq dernières années pour des pratiques illégales et, l'an dernier, cinq agents recruteurs thaïlandais ont vu leur licence révoquée et 47 autres ont reçu un avertissement. A Taiwan, un texte de loi soumis au Yuan législatif devrait rendre illégaux les agents recruteurs de Taiwan qui demandent des droits à des agents recruteurs étrangers plus élevés que le pays étranger ne l'autorise ce qui est important, car ce sont justement ces droits qui, à leur tour, forcent les agents recruteurs étrangers à se faire payer si cher par les éventuels travailleurs.

Bonne paie, mais peu de loisirs. La plupart des ouvriers étran­gers consacrent la majeure partie de leur temps libre à améliorer leurs gains en faisant des heures supplémentaires. Après tout, le dortoir de l'entre­prise offre peu de distractions.

Le plus significatif peut-être est que les responsables des divers pays concernés collaborent à la création d'un système où l'employeur passerait par-dessus les agents recruteurs et embaucherait directement les travailleurs par l'intermédiaire d'agences officielles. Cela réduirait les dépenses du travailleur à quelques centaines de dollars américains. On prévoit déjà l'utilisation d'un tel système dans le recrutement de travailleurs philippins pour le Parc industriel et scientifique de Sintchou (Hsinchu) et les zones franches industrielles à l'exportation (ZFIE) de Taiwan.

Une fois que les travailleurs étrangers sont arrivés et se sont mis au travail, leur plus grande difficulté est généralement l'adaptation aux rudes conditions et aux longues heures de tra­vail sur les chantiers, ainsi qu'à l'ennui et à l'enrégimentation après le travail. La plupart des ouvriers des usines ou du bâtiment vivent dans des dortoirs de l'entreprise, mangent la nourriture de l'entreprise et sont soumis aux horaires de l'entreprise pour le lever et le coucher. Les seuls divertissements peuvent être la lecture, la boisson, le jeu et le bavardage avec les autres camarades de travail.

La barrière de la langue est aussi extrêmement frustrante. Lorsque les ouvriers ne peuvent trouver leur interprète, ils ne communiquent avec leurs supérieurs qu'au moyen de gestes et de pantomimes. Cela peut faire de choses insignifiantes des problèmes gigantesques. Et certains sont vite dépri­més quand ils s'aperçoivent que leur tra­vail ne leur apporte pas le respect. Mme Teresa Ablasa dit que sa nièce, qui travaille aussi comme femme de ménage à Taipei, se plaint souvent de ne pas être respectée par ses employeurs et de se faire insulter par les enfants. Elle a songé à rompre son contrat et rentrer chez elle, mais finalement elle a décidé de rester pour l'argent.

Mme Shirley Lai a attendu huit mois sa femme de ménage étrangère, mais elle dit que cela valait la peine d'attendre. « Les femmes de ménage chinoises sont difficiles à trouver, et souvent elles ne restent pas longtemps. »

Ce que les employeurs craignent le plus est que les travailleurs étrangers mécontents s'en aillent ou se mettent en grève. Aussi, après avoir pris soin d'exposer leurs droits et leurs devoirs aux travailleurs, des entreprises ont cherché à conserver à ces travailleurs un bon moral en leur fournissant des journaux, des revues et des vidéobandes de leur pays d'origine et en leur installant des salles équipées de chaînes acoustiques ou de tables de ping-pong.

Certaines entreprises emmènent leurs employés étrangers en excursions sur des lieux touristiques ou les invitent à des activités spéciales les jours de fête étrangers. En avril dernier, Chiu Tai a célébré le Songkran, le jour de l'An thaïlandais. Toute l'entreprise a pris part aux festivités qui comprennent la traditionnelle aspersion collective. « Presque tout le personnel de la société, étranger et chinois, s'est joint à cette asper­sion, dit M. Chang Cho-chen, directeur des Relations publiques de Chiu Tai. Nous avons tous été trempés, mais contents de voir nos ouvriers s'amuser. » Il précise que la direction de Chiu Tai s'étaient d'abord informée sur la culture thaïlandaise avant d'embaucher ces ouvriers étrangers.

D'autre part, les communautés expatriées ont commencé à créer des activités sociales pour elles-mêmes. Par exemple, le dimanche, les travailleurs philippins remplissent bon nombre d'églises catholiques. « Nous ne nous imprégnons pas seulement de religion, dit Mme Teresa Ablasa. Nous nous réunissons après la messe pour échanger des idées sur le travail, le salaire et bien d'autres choses. » Les travailleurs thaïlandais n'ont pas beaucoup de lieux de réunion, même si des entreprises leur ont installé des autels bouddhiques où ils peuvent aller prier, et quelques-uns, à l'occasion, se précipitent dans un restaurant thaïlandais.

En dépit de la nostalgie, la barrière des langues et le choc culturel, beaucoup de travailleurs étrangers souhaitent que le gouvernement de de Chine prolonge la durée maximale de séjour à Taiwan. Deux ans sont trop courts pour rembourser les frais de l'embauche et économiser un peu d'argent pour la famille. « Il faudrait cinq ou six ans pour vraiment pouvoir gagner de l'argent, dit Mme Linda Arcangel, une Philippine à First Computer. Le gouvernement de de Chine devrait nous donner la possibilité de revenir si nous avons de bons états de service. »

Chen Ping-hsun. Beaucoup d'ouvriers étrangers ont travaillé clandestinement à Taiwan avant que la législation ne les y autorise en 1989. Depuis, 70 000 travailleurs étrangers ont été renvoyés chez eux. Ici, un centre de rapatriement près de Taipei.

Hwang Chih-yin

(V.F., Jean de Sandt)

Photographies de Huang Chung-hsin.

NDLR : Depuis le remaniement ministériel du 14 décembre 1994, Chao Shou-po occupe les fonctions de secrétaire général du Yuan exécutif (Cabinet). Il a été remplacé au poste de président de la commission d'Etat du Travail par Hsieh Shen-shan.

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